Dernier jour 15h01

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Radio France, Nice, aujourd'hui, 15h01. Un orage monstrueux vient de frapper la région. L'état d'urgence a été déclaré tandis que les blessés affluent dans les hôpitaux et que des secours héliportés convergence de toute la France et d'Italie. De nombreux morts seraient à déplorer. Tous les cours d'eau sont en crue catastrophique. On rapporte des avalanches de boues et des glissements de terrain de grande ampleur. De très nombreux ouvrages, maisons et immeubles ont été gravement endommagés par le vent et les inondations. Presque toutes les routes de l'arrière-pays sont durablement coupées, ainsi que l'autoroute A8 entre Fréjus et Monaco, ce qui rend le travail des secours très difficile. Selon un pilote de la Sécurité Civile, certains villages du moyen pays sont rayés de la carte. L'aéroport de Nice est fermé pour une durée indéterminée, car le Var a emporté le bout des pistes. L'eau et l'électricité sont coupées partout. Heureusement, la population avait été avertie avec presque cinq heures d'avance de l'imminence de ce phénomène météorologique gravissime. Il ne fait aucun doute que le réchauffement global en est à l'origine.

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Morgan appela Claire juste après la communication anonyme.

— Claire ?

— Oui, Morgan. Nous avons enregistré cet appel. Nous ne sommes pas parvenus à en retracer l'origine.

— Je vais être obligée d'accepter leur chantage.

— Non, non, Morgan, je t'en prie, ne leur cède pas ! Pas maintenant ! On est tout près du but.

— Ils ont gardé l'argument qui tue pour le dernier round. Je prends leur menace très au sérieux.

— Nous aussi. Mais, Morgan, menacer ta fille, c'est leur dernière cartouche. Il est essentiel que tu analyses ce risque rationnellement. C'est un coup de bluff. La maison de Lise est sous très haute surveillance. Le quartier est verrouillé et nous sommes en train de faire étendre le périmètre.

— Tu veux me convaincre, avec ça, que je peux leur dire d'aller se faire foutre ?

— Oui, mais ne le leur dit surtout pas, car sinon le temps ne jouerait plus en notre faveur. Morgan, la protection d'Esmeralda est assurée, c'est un coup de bluff.

— Il leur serait très facile de la tuer. Un tireur. Une bombe.

— Morgan, je suis désolée, mais ce n'est pas vrai. Ce ne serait pas aussi facile que ça. L'option tireur d'élite en particulier est tout à fait rocambolesque. Tu connais mieux que moi la conformation des lieux : la maison est invisible du voisinage, sauf de l'autre versant de la vallée, mais c'est à plus de huit cents mètres. Et il suffit qu'Esmeralda reste invisible. Ensuite, l'hypothèse d'une bombe est extravagante. On a fait fouiller cette maison je ne sais plus combien de fois dans les trois dernières semaines, de la cave au grenier, en utilisant les mêmes techniques que celles qui sont employées par les services secrets de ton pays qui ont la charge de la protection de votre président. Or personne n'est entré dans cette maison aujourd'hui à l'exception d'Ada. Tu ne la soupçonnes quand même pas d'être venue poser une bombe ?

— Un tir de mortier. Tu ne vas pas pouvoir me faire croire que tu peux étendre ton périmètre plus loin que la portée d'un tir de mortier.

— Non, je ne peux pas. Mais, Morgan, un tir de mortier quasiment en aveugle, ce n'est pas une méthode de travail pour un assassinat ciblé. La probabilité pour qu'ils fassent mouche avant qu'on les ait neutralisés ou qu'on ait mis ta fille à l'abri est trop faible. Et tu sais que, ça, c'est vrai. Bon. Maintenant, réfléchis à l'aspect temporel des choses : nous avons veillé à ce que les conditions de ton vol soient ultra confidentielles. C'est pour cela que je dis que le temps joue en notre faveur. À ton avis, quand est-ce qu'ils pourraient agir ?

— N'importe quand !

— Non, Morgan. Si tu les laisses croire que tu vas passer prendre leurs passagers, mais que tu ne peux pas leur dire exactement quand... Ils auront un doute jusqu'à la fin, quand tu viendras chercher ta fille avant de repartir pour l'astroport, d'accord ?

— Admettons.

— L'instant critique sera quand tu approcheras de la maison avec ton hélico. Ils n'auront que quelques minutes pour se rendre compte que tu les as bernés... Et tu seras là, Morgan, aux commandes d'une formidable machine de guerre armée jusqu'aux dents.

Morgan restait silencieuse.

« Alors, nous sommes d'accord ? Je renforce la sécurité de ta fille, et tu prends nos passagers.

— Claire, j'ai un mauvais pressentiment.

Claire réfléchit un long instant.

— Tu as quelque chose à proposer ? Que voudrais-tu que je fasse de plus ?

— Je voudrais que tu ailles chez Lise assurer sa protection et celle d'Esmeralda.

— Morgan, j'ai des milliers de trucs à faire ici à Almogar.

— Claire, reconnais que, si la situation était inversée, tu serais rassurée de savoir que je suis avec ta fille.

Il y eut à nouveau un long silence, Claire regarda son chef qui écoutait depuis le début sur une autre ligne, sa silhouette sur l'écran haussa les épaules et il fit un petit geste de la main : allez-y.

— OK. Je vais chez Lise. J'y serais dans une heure au grand maximum.

— Je te remercie, Claire.